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Rencontre avec Rachel Lang

Rachel Lang : “La mort est une hypothèse de travail”

Thibaut & Brigitte Demeyer

Avec son second long métrage « Mon légionnaire », Rachel Lang a fait les beaux jours du dernier Festival de Cannes dans la section « Quinzaine des réalisateurs » puis a obtenu le Bayard d’or du meilleur scénario au dernier Festival International du Film de Namur avant de se retrouver au Festival du Film européen de Virton devant une salle comble. C’est à cette occasion que nous avons eu le plaisir de rencontrer Rachel Lang qui est à la fois réalisatrice, jeune maman d’une petite fille prénommée France et lieutenant de réserve dans l’armée française. Thibaut Demeyer

Rachel Lang – réalisatrice “Mon légionnaire”. (c) Thibaut Demeyer

A 19 ans, Rachel Lang frappe à la porte de l’armée française suite à une annonce de recrutement pour devenir soldat de réserve : « je trouvais rigolo l’idée d’aller ramper dans la boue » dit-elle non sans humour. Elle intègre donc la grande muette en tant que soldat. L’expérience lui plaît à un point tel qu’elle fait ses classes pour acquérir le grade de lieutenant de réserve. A 21 ans, elle décroche le concours d’entrée à l’IAD de Louvain-La-Neuve (Institut des arts de diffusion) pour en sortir à 26 ans avec son diplôme en poche. « Être à la fois lieutenant de réserve et réalisatrice, ce n’est pas incompatible et tant mieux car j’ai toujours voulu faire du cinéma » nous a-t-elle confié.

Quels souvenirs gardez-vous de la projection de votre film à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes ?

Un souvenir rempli d’émotion. Tout d’abord parce que l’actrice principale est décédée avant qu’elle ne puisse voir le film (ndlr : Ina Marija Bartaité, décédée dans un accident de la circulation), ensuite parce que mon accouchement était imminent et qu’enfin, être sélectionnée à la Quinzaine des réalisateurs est un honneur car cette section a déjà révélé de nombreux grands cinéastes. 

Peut-on dire que « Mon légionnaire » est un hommage rendu tant aux militaires qu’à leurs épouses ?

Oui tout à fait. C’est un film sur le couple et j’avais envie de rendre hommage autant aux militaires qui font ce métier qu’à leurs épouses qui restent en arrière, qui gèrent tout et qui en définitive sont des combattantes du quotidien.

La vie des épouses d’officiers est particulière car elles ne peuvent pas travailler. Pourquoi alors avoir fait de Camille Cottin une avocate en exercice ?

La société évolue. Aujourd’hui, les épouses travaillent de plus en plus. C’est vrai qu’il reste encore aujourd’hui une sorte de société archaïque et patriarcale qui fait que les femmes d’officiers ne pouvaient pas travailler car historiquement, leur mari était muté tous les deux ans. J’avais envie de montrer que les femmes ne sont pas sous contrat avec l’armée et qu’elles avaient aussi le droit de travailler, d’avoir des projets, de l’ambition même si elles soutiennent leurs époux.

Il me semble que la mort est représentée de deux façons différentes à savoir du point de vue des femmes et du point de vue des hommes

C’est un rare métier où la mort est une hypothèse du travail et du coup la mort rôde et plane en permanence. Les épouses, qui laissent partir leurs hommes, ne sont jamais sûres qu’ils reviendront car même s’ils reviennent, ils peuvent être impactés par la mort d’un camarade, ce qui rend le retour très compliqué. Du côté des hommes, le rôle des officiers est un rôle social, un peu comme celui d’un père de famille. Il peut être responsable de la vie et de la mort de subalternes.

(c) Thibaut Demeyer

C’est surprenant de voir Louis Garrel dans ce genre de rôle. Comment l’avez-vous convaincu et a-t-il accepté rapidement ? Quant à Camille Cottin, pourquoi ce choix ?

Au départ, aucun des deux n’étaient convaincus que nous devions travailler ensemble Louis et moi. La production m’a demandée de rencontrer Louis Garrel, je n’y croyais pas du tout parce qu’il est un comédien citadin. Nous avons quand même fait une lecture et il était tellement bon et une intelligence du texte tellement fine que j’ai fait le pari qu’il ferait le job et qu’il assumerait le côté physique. Il a donc accepté d’avoir un coach militaire et un coach sportif et suivre une formation militaire à Toulouse dans le Sud de la France. Quant à Camille Cottin, lorsque le choix de Louis Garrel a été validité, il fallait lui trouver une épouse qui soit à la hauteur en termes de jeu, de force, d’intelligence. Il faut dire que Camille a dans l’œil quelque chose de complexe où elle exprime à la fois de la joie et de la tristesse. Je trouve qu’il y a quelque chose de très profond chez elle, même dans la partition un peu joyeuse qu’elle peut avoir, il y a toujours quelque chose d’assez profond. C’est vrai qu’on l’a souvent utilisée dans la comédie mais maintenant, elle commence une carrière internationale et des rôles très variés. Il suffit de voir « Stillwater » où elle a donné la réplique à Matt Damon (ndlr : ce film a été présenté en sélection officielle et en compétition au dernier Festival de Cannes) et actuellement, elle fait la promo de « House of Gucci ».

La force de votre film réside également dans l’absence du spectaculaire. Quand nous sommes sur le terrain, on a cette impression de documentaire. Comment avez-vous travaillé toute cette partie ? Auparavant, vous avez fait un storyboard ?

La guerre au Sahel est une guerre asymétrique, l’ennemi est extrêmement furtif, il pose des engins explosifs improvisés et part. Il crée donc des dommages et disparaît aussitôt. La force française ne se confronte par directement à l’ennemi donc il y a plus une frustration d’absence, de confrontation. Par rapport au storyboard, je voulais être très précise par rapport au métier, de montrer, d’être fidèle au point de vue de Maxime (alias Louis Garrel), de rester avec lui et Maxime reste toujours dans le véhicule blindé parce qu’il y a les transmissions, parce qu’il doit prendre les ordres d’au-dessus et les répercuter en bas et donc il voit la guerre juste de cet endroit-là. J’avais envie de montrer ce que cela veut dire de commander, de rester dans l’incertitude, ce qu’est le brouillard de la guerre, ce qu’est réellement le métier. 

Vous êtes lieutenant de réserve dans l’armée française. N’est-ce pas trop difficile de se faire respecter par des subalternes hommes ?

Non parce que ce qui compte, c’est le grade et donc, les hommes qui ont un grade inférieur écoutent les ordres donnés. Il n’y a pas de distinction entre les hommes et les femmes, les salaires sont équivalents. En fait, il y a moins de discrimination hommes/femmes dans l’armée que dans la vie civile.

Actuellement, vous êtes en promo pour « Mon légionnaire » mais avez-vous déjà d’autres projets ? Oui, je suis en train d’écrire un autre film qui sera cette fois-ci un film d’espionnage.

(c) Galerie photos : Thibaut Demeyer & Brigitte Demeyer-Lepage

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